Tableau d'Angela Franke
Un matin, un petit teckel au pelage d’un roux doré est parti à l’aventure. Ainsi commence la Petite histoire d’un petit chien. Mais lorsque vient la nuit, la peur succède à l’ivresse de la liberté. Jusqu’au soir, il a joué à cache-cache avec les oiseaux, les rossignols, les fauvettes, et avec les écureuils, il a donné la chasse aux lapins de garenne et les a poursuivis jusqu’à leurs terriers. Brusquement la nuit est venue. Perchés dans le feuillage, les oiseaux ne chantent plus. Pas un bruit. Pas une voix. On entend seulement le grand souffle du vent dans les branches. L’ombre s’étend sous les arbres. Pauvre bébé chien ! Il a couru tout le jour comme un fou, et il n’en peut plus. A bout de forces, les poils collés de sueur, il se traîne au pied d’un chêne. Là, épuisé, incapable de faire un pas de plus, il se laisse tomber dans l’herbe. Maintenant il tremble de peur. Où se cache le sentier qui ramène à la maison ? A cette heure, au fond de leur corbeille, ses quatre petits frères, blottis entre les pattes de Cora, vont s’endormir bien au chaud, dans la fourrure de leur mère. Tremblant dans tous ses poils, le bébé chien se souvient de ce que lui a dit le chat gris : « Qui viendra au secours d’un malheureux petit teckel perdu au milieu des grands bois ? Personne !... » La tête entre ses pattes, les yeux clos, transi de peur et de froid, il écoute le bruit de son cœur qui bat trop vite. Qu’est-ce qui va sortir de l’ombre ? Quelle est cette longue bête rousse qui se coule sous les buissons en étouffant ses pas dans la mousse ? Et sans faire craquer une brindille… C’est une renarde. Le petit teckel ne l’a pas entendue venir. Elle rampe, le nez au ras de la terre. Elle suit une trace. Elle s’approche, contourne le tronc de chêne et s’arrête.
Et voici que, dans ses poils mouillés, le chien sent tout à coup le souffle tiède de la bête rousse qui le flaire. Il entrouvre ses paupières et, aussitôt, il les referme, épouvanté. Il a vu briller deux yeux tachés d’une goutte d’or. Des babines noires… et la gueule effrayante de l’animal qui aiguise ses crocs… Plus mort que vif, le pauvre teckel s’est senti soulevé de terre. Tout comme faisait Cora sa mère, la bête rousse l’a saisi par la peau du coup, délicatement sans lui faire mal. Et elle l’emporte dans ses dents, suspendu au bout de son museau. Elle l’emporte, secoué, ballotté, tout au long d’une course qui n’en finit plus, dans la nuit des bois. Où l’emporte-t-elle ?...
René Guillot
Extrait d’une Petite histoire d’un petit chien
(Ed. Hachette)